Allocution du président de la République à Oradour-sur-Glane

Oradour-sur-Glane - Mercredi 4 septembre 2013

 

Monsieur le Président de la République fédérale d'Allemagne,

Mesdames, Messieurs les élus,

Monsieur le Maire d'Oradour-sur-Glane,

Mesdames, Messieurs les représentants des victimes,

Messieurs les survivants,

Mesdames, Messieurs,

 

« Silence » : ce mot, ce mot seul, s'inscrit sur le panneau qui se dresse devant chaque visiteur à l'entrée du village d'Oradour-sur-Glane. Il fallait un événement exceptionnel pour rompre ce silence. Cet événement exceptionnel, Monsieur le Président, c'est votre venue ici dans ce lieu où l'horreur fut commise et où la mémoire est scrupuleusement gardée. Je mesure la signification de votre présence. Vous êtes la dignité de l'Allemagne d'aujourd'hui, capable de regarder en face la barbarie nazie d'hier.

 

Car ici même s'est produit un crime, le pire des crimes, un crime contre l'humanité.

 

C'était il y a 69 ans, au mois de juin 1944. La division Das Reich traverse le Limousin pour rejoindre la Normandie. Sa chevauchée funeste commence à Tulle, où 99 jeunes hommes sont sacrifiés par pendaison. 141 autres seront envoyés en camp de concentration, 101 ne reviendront jamais. Chaque année, le 9 juin, dans cette ville, cette ville de Tulle dont je fus le maire, une marche, silencieuse aussi est organisée. Elle rappelle le martyre. Aux balcons des maisons, la population accroche des guirlandes, à l'endroit même où se balançaient les corps sans vie le 9 juin.

 

Le lendemain à Oradour-sur-Glane, la plupart des habitants sont dehors, sur la place de la mairie, sur la halle du marché, sur le parvis de l'église. Les enfants sont à l'école. La vie est là, encore là, insouciante. Elle va brutalement s'arrêter.

 

Peu après 14 heures, la division Das Reich pénètre dans le village. Elle demande que des otages lui soient remis. Elle rassemble la population. Le docteur DESOURTEAUX, qui remplit la fonction de maire, refuse d'en désigner et s'offre lui-même en sacrifice pour l'ensemble de la population. En vain.

 

Les 190 hommes et garçons âgés de plus de 14 ans sont alors arrêtés, parqués dans des granges et fauchés à la mitrailleuse. Les 245 femmes, les 207 enfants sont rassemblés dans l'église, où ils sont brûlés vifs. Partout, dans chaque rue, dans chaque maison, les survivants sont traqués, assassinés un à un, pour qu'aucun ne puisse témoigner de cette abomination. Oradour est entièrement livré aux flammes. Pour qu'il ne reste rien. C'était l'intention des barbares.

 

Il a fallu des jours et des jours pour déblayer les ruines, et pour donner aux rares corps qui restaient, à ces corps suppliciés, un âge, une identité, un nom.

Il a fallu des mois pour imposer que tout soit figé, pour que tout demeure. Et que rien ne s'efface. Oradour devenait ainsi monument historique.

 

Nous aurions dû dire à l'époque : Monument de l'histoire.

 

Il a fallu ensuite des années pour établir la vérité, connaître les coupables. Des années encore pour tenter d'obtenir leur condamnation et l'extradition des chefs SS, sans jamais y parvenir.

 

Il a fallu des décennies enfin, pour que les familles des victimes d'Oradour disposent d'un monument qui puisse transmettre - c'était l'intention du Conseil général - aux générations suivantes , le récit de ce drame. C'est le centre de la Mémoire. Il fût lancé par François MITTERRAND, c'était en 1994, et inauguré par le président Jacques CHIRAC cinq ans plus tard. Il a fallu des décennies, toujours, pour que soit aussi reconnu le drame des incorporés de force et que le Limousin et l'Alsace fassent la paix des mémoires. Comme l'ont proclamé courageusement le Maire d'Oradour, Raymond FRUGIER et celui de Strasbourg, Roland RIES.

 

Car seule, je dis bien seule, la vérité fonde la réconciliation.

 

Monsieur le Président, au lendemain de la guerre, nos deux pays ont décidé avec courage, et je pense à Konrad ADENAUER et à Charles de GAULLE, de partager leur avenir en surmontant le passé. Des images nous viennent à l'esprit. La visite du chancelier ADENAUER à Colombey-les-deux-Eglises, c'était en 1958. La visite aussi du général de GAULLE, son discours à la jeunesse allemande, à Ludwigsburg, c'était en 1962. Nous avons aussi dans nos souvenirs, Helmut KOHL et François MITTERRAND, main dans la main, à Verdun, c'était en 1984.

 

Aujourd'hui, votre visite, Joachim GAUCK, à Oradour-sur-Glane confirme que l'amitié entre nos deux pays est un défi à l'Histoire, mais aussi un exemple pour le monde entier. Sa force s'illustre en cet instant même, ici à Oradour-sur-Glane.

 

Cette amitié, elle nous dépasse, elle nous oblige. Cette amitié, elle fonde le projet européen. Deux fois au cours du dernier siècle, notre continent s'est embrasé. Parce qu'alors, toujours l'emportaient les désirs de revanche. Et puis un jour, en s'éveillant du pire, du pire massacre de l'Histoire et dont l'holocauste fut le stade ultime, des Européens ont jugé qu'il fallait arrêter, une fois pour toutes, la machine infernale. Et qu'il ne fallait plus envoyer au front la génération suivante. Ils ont bâti une belle maison, une maison accueillante : l'Europe. Ils nous ont fait le plus beau legs qui soit, celui que nous devons entretenir : La paix.

 

Mais la paix, comme la démocratie, ne sont pas des acquis. Car pour les peuples comme pour les individus, tout se conquiert et se reconquiert à chaque génération. C'est pourquoi notre présence, Monsieur le Président, est bien plus qu'un symbole, c'est l'affirmation d'une promesse.

 

Promesse d'honorer, partout et toujours, les principes qui sont bafoués par les bourreaux d'hier mais aussi d'aujourd'hui.

 

Promesse de défendre les droits de l'Homme chaque fois qu'ils sont violés. Près de chez nous ou loin d'ici.

 

Promesse de refuser l'inacceptable partout où il se produit.

 

Cette vigilance, cette intransigeance, nous les devons aux suppliciés du 10 juin 1944. Ils nous rappellent à nos devoirs. Ils parlent à nos consciences, ils sont les témoins qui brisent l'indifférence quand elle devient lâcheté.

 

En septembre 1944, le poète Jean TARDIEU écrivait un texte en hommage aux morts d'Oradour-sur-Glane : «Oradour n'a plus de femmes, Oradour n'a plus d'hommes, Oradour n'a plus de feuilles, Oradour n'a plus de pierres, Oradour n'a plus d'église, Oradour n'a plus d'enfants. Oradour n'est plus qu'un cri». Et bien ce cri, Monsieur le Président, je l'entends encore et je l'entendrai toujours quand il y aura d'autres massacres de par le monde.

 

J'entends aussi les paroles des survivants et je les salue, Robert HEBRAS, Jean- Marcel DARTHOUT, ils sont ici aujourd'hui. Je veux leur exprimer le respect de la Nation tout entière, celle que je représente, mais aussi saluer leur grandeur d'âme. Il en fallait aujourd'hui pour faire ce geste d'hospitalité.

 

Mesdames, Messieurs,

 

Dans tout lieu de malheur, il y a une fleur qui parvient à éclore.

 

Ici, parmi les ruines d'Oradour, il y a un chêne robuste et majestueux. C'est l'arbre de la liberté. Il avait été planté pendant la Révolution de 1848 pour consacrer ce qu'était à l'époque le suffrage universel, celui des hommes. Mais aussi pour abolir enfin l'esclavage.

 

Alors, ici, des hommes et des femmes avaient voulu planter cet arbre pour saluer ce moment.

 

Eh bien, cet arbre-là est sorti indemne au milieu des cendres le 10 juin 1944. Il a survécu comme pour illustrer qu'au-delà des épreuves, au-delà des générations, le combat pour l'humanité continue.

 

Monsieur le président,

 

C'est cette confiance dans la liberté, cette espérance dans la démocratie, cet attachement à la paix que nous sommes venus ici ensemble, Président de la France, Président de l'Allemagne, exprimer donc aujourd'hui à Oradour.

 

C'est le message d'Oradour.

 

Il vivra. Il vivra perpétuellement. Merci.