Allocution de M. Kader Arif, Ministre délégué auprès du Ministre de la Défense, chargé des Anciens Combattants – 10 juin 2013.

 

« Depuis un an que j’exerce les fonctions de ministre délégué auprès du ministre de la Défense, chargé des anciens combattants, je découvre ou redécouvre l’histoire de notre pays. Je fais la connaissance d’hommes et de femmes aux parcours exceptionnels. Je tente de me nourrir de leur histoire, de ce qu’ils font et de ce qu’ils sont.

 

Revivre en quelques mois des dizaines d’années d’histoire de France, son histoire contemporaine, celle qui coule encore dans nos veines et habite encore les foyers où elle est contée, c’est une chance.

 

Mais parfois le temps s’arrête. Il s’arrête devant l’horreur. Je sais que dans un instant, quand je me rendrai pour la première fois sur ce champ de ruines, si vide et à la fois si plein de la douleur de ceux qui y perdirent la vie, le temps s’arrêtera.

 

Il y a quelques jours, j’étais en Normandie, à l’occasion des commémorations du 69ème anniversaire du Débarquement. Aux côtés de nos amis américains, canadiens, britanniques et bien d’autres, y compris en présence d’un représentant de l’ambassade allemande, nous avons rendu hommage aux milliers d’hommes morts sur les plages ce jour-là.

 

Nous avons vanté leur détermination, leur loyauté, leur courage. Nous avons salué cet incroyable effort qui changea le cours de l’histoire. Au prix de sacrifice de milliers de vie, le chemin s’ouvrait vers la victoire.

 

Mais tandis que les soldats Alliés marchaient vers l’Est, libérant nos villes une par une, sentant au plus profond d’eux-mêmes que les nuages pesant sur la France depuis 1940 pourraient bientôt être levés, d’autres remontaient vers le Nord, animés par une macabre soif de vengeance qui les conduire aux pires atrocités.

 

Oradour-sur-Glane était sur le chemin de la vengeance. Permettez-moi de rappeler, que parmi les hommes et les femmes massacrés ici, il y avait aussi des habitants du petit village mosellan de Charly, que vous aviez recueillis en 1940. Une tragédie supplémentaire de l’histoire : ils avaient cru se sauver, ils allaient mourir ici.

 

Le 5 juin, une affiche du général SS Lammerding, commandant les troupes allemandes, était placardée à Tulle et disait ceci : « Pour chaque soldat qui sera blessé, trois maquis seront pendus. Pour chaque soldat allemand qui sera assassiné, dix maquis ou un nombre égal de leurs complices seront pendus également ».

 

Que dire des 642 hommes, femmes, enfants, massacrés à Oradour ? Pour qui ont-ils payé ?

Le village est encerclé, méthodiquement, froidement. Il n’y a aucune issue. Les malades ou ceux qui ne peuvent se déplacer sont abattus sur place.

 

Les soldats séparent les hommes des femmes et des enfants. Ils ne peuvent empêcher les derniers adieux. Les familles se déchirent.

 

Les hommes reçoivent des salves de mitraillettes. Ils sont achevés à bout portant. Puis brûlés.

 

Les femmes et les enfants, rassemblés dans l’église, assistent impuissants à l’orchestration méthodique de leur exécution. Je reprends ici les mots de Marguerite Rouffanche, rescapée, qui apporta maintes fois son témoignage : « Vers 16 heures, des soldats âgés d’une vingtaine d’années, placèrent dans la nef, près du chœur, une sorte de caisse volumineuse de laquelle dépassaient des cordons qu’ils laissèrent traîner sur le sol. Ces cordons ayant été allumés, le feu fut communiqué à l’engin dans lequel une forte explosion soudain se produisit, et d’où une épaisse fumée noire et suffocante se dégagea ».

 

Vous connaissez la suite. La panique. Les cris. L’agonie.

 

Ce 10 juin 1944, Oradour-sur-Glane s’enfonce dans les ténèbres, emportant avec elle une partie de l’âme de la France.

 

Lorsque je parle aux jeunes, et ils sont nombreux à participer aux cérémonies commémoratives, je vois dans leurs yeux quels sont les images qui les ont profondément marqués. Oradour en fait partie.

 

Je pense aux professeurs qui les accompagnent, aux parents qui les aident sur le chemin de la mémoire à passer les obstacles de la brutalité et de la barbarie.

 

Comment expliquer de tels actes ? Il n’y a rien pour l’expliquer.

 

C’est l’incompréhension, face à la barbarie portée au-delà de l’inimaginable, au-delà de l’humain.

 

C’est le désarroi, car aucune réponse rationnelle ne s’oppose à la folie.

 

C’est la perte à jamais de l’insouciance. L’on ne revient pas indemne d’un passage sur ces terres, dont le sol encore brûlant consume nos cœurs et nos esprits.

 

Une jeune habitante d’Oradour, qui était en ce 10 juin 1944 à Limoges, eut ces mots que je souhaite partager avec vous : « Ce massacre symbolise l’horreur absolue des crimes contre l’humanité. Ce n’est pas un exemple unique, mais je crois qu’il ne faut pas oublier car les dangers restent toujours actuels ».

 

Notre présence ici, votre présence ici, année après année, montre que rien n’est oublié. Réunis dans la préservation de cette moire commune, nous rendons hommage aux morts. Nous pleurons comme s’ils étaient tous et toutes nos fils et nos filles.

 

Ensemble, nous luttons aussi pour qu’un tel drame ne se reproduise jamais. Ecraser les graines, si insignifiantes soient-elles, qui seraient les germes d’une telle barbarie, demande une extraordinaire énergie. Menons tous ce combat, car c’est un combat pour l’humanité.

 

Je vous remercie ».

 

 

photo : Centre France