Cérémonie à Oradour-sur-Glane

Discours de Jean-Marc Todeschini

Mercredi 10 juin 2015

 

Seul le prononcé fait foi

 

Monsieur le préfet,

Mesdames et messieurs les parlementaires,

Messieurs les présidents des conseils régionaux,

Monsieur le président du conseil départemental,

Monsieur le maire d’Oradour-sur-Glane,

Mesdames et messieurs les élus des communes soeurs

Monsieur le président de l'association nationale des familles des martyrs,

Mesdames et messieurs les présidents d’associations d’Anciens combattants et Victimes de guerre,

Monsieur Robert Hébras,

Mesdames, messieurs,

 

La première fois que je suis venu ici, j’étais enfant.

J'avais .. ans. Je venais sur cette terre de souffrance, nourrie des mémoires à la fois limousine et mosellane.

 

Dès que j'ai foulé le sol d'Oradour, à travers les ruines de l'ancien village, j’ai compris que je ne reviendrai pas indemne d’un passage sur ces terres. Personne ne revient indemne d'Oradour.

 

Personne ne peut y pénétrer sans plier sous le poids de la tragédie qui s'est jouée ici.

« Silence » est inscrit sur le panneau à l'entrée. Le silence qui s’impose au visiteur d’Oradour, qui s’impose devant l’horreur.

 

Celui qui s’est installé dans ces ruines pour l’éternité quand les cris des hommes, des femmes et des enfants se sont envolés, quand leurs vies se sont éteintes.

 

Car ici, le temps s’est arrêté un 10 juin 1944. Quelques jours auparavant, le débarquement de près de 155 000 hommes sur les plages normandes faisait naître un souffle de liberté dans toute l’Europe. J’étais samedi à Arromanches et à Courseulles pour commémorer une nouvelle fois le 6 juin. C’est aussi pour cela que je suis ici aujourd’hui : pour rappeler qu’on peut lire le drame d’Oradour qu’à l’aune du 6 juin.

 

Ce souffle de liberté né sur les plages normandes devait traverser les régions, les territoires, les villes. Mais ce souffle s’arrêta là, aux portes d’Oradour, le 10 juin 1944 à 15h.

 

Oradour, c’est « le symbole des malheurs de la patrie a dit le général de Gaulle en se recueillant ici en mars 1945, il y a 70 ans. Oradour, c’est un crime contre l’humanité, une abomination insupportable pour l’âme humaine, un drame innommable à qui il a fallu donner un nom : barbarie, massacre, village martyr.

 

Ces ruines aujourd’hui sans vie sont pleines de cette histoire et de la douleur des habitants d’Oradour.

 

Je remercie très sincèrement monsieur Hébras de sa présence, de sa fidélité à la mémoire de son enfance et de sa mère, ses sœurs, ses amis, ses voisins disparus ce  jour-là, de sa fidélité aussi au combat contre la haine qu’il a mené dès le lendemain du massacre en s’engageant dans la Résistance.

 

Dès 1939, Oradour-sur-Glane vivait sa propre expérience de la guerre. Comme tout le département, elle accueillait des réfugiés: d’abord des Espagnols républicains chassés par le franquisme, puis des évacués d’Alsace, ensuite des expulsés francophones lors de l’annexion de la Moselle en août 1940, notamment des habitants du petit village de Charly, enfin des Juifs, français et étrangers, fuyant les persécutions. Elle devenait un refuge où tout espoir de survie était permis jusqu'au 10 juin 1944.

 

Ce jour-là, que s’est-i1 passé ? Le rappeler une nouvelle fois est un devoir.

 

Alors que les soldats alliés libéraient nos villes de France, les soldats ennemis de la division SS Das Reich remontaient vers le Nord, empreints d’une idéologie qui allait les conduire à la pire des barbaries.

 

Ce jour-là, le village d’Oradour est encerclé par 150 soldats nazis. La population est rassemblée sur le champ de Foire où nous irons nous recueillir tout à l’heure. Les hommes sont séparés des femmes et des enfants.

 

190 hommes de plus de 14 ans sont parqués dans 6 granges et fauchés à la mitrailleuse. 246 femmes et 207 enfants sont rassemblés dans l’église : une détonation se fait entendre alors que retentit à l’extérieur le bruit des mitrailleuses qui emportent leur époux, leur père, leur fils.

 

Parmi ces femmes, Marguerite Rouffanche est la seule rescapée de cette église dont il ne reste rien aujourd’hui, si ce n’est l’écho de leurs cris de frayeur.

 

642 Victimes. Ce crime d'Oradour ne fut pas isolé. Il y eut le martyre de Tulle le 9 juin avec le massacre de 99 otages et la déportation de nombreux habitants ; celui de Maillé, dans l’Indre-et-Loire au mois d’août 1944.

 

Eliminer chaque homme, chaque femme, chaque enfant.

Effacer d’Oradour-sur-Glane sa mémoire, telle était la terrible mission que les nazis s’étaient confié. En brûlant les cadavres, ils espéraient en faire des corps sans Visages, des corps qui dorment sans nom, des histoires qui disparaissent sans mémoire.

 

Or, Oradour porte en elle les traces de la barbarie nazie à laquelle ont été livrés ses maisons, ses arbres, son école, son église, son âme.

 

Aujourd'hui, plus de 70 ans après, Limousins,  Alsaciens, Mosellans, Français, Allemands, doivent commémorer ce drame dans la paix des mémoires. Au fondement de cette réconciliation, la Vérité, terreau sur lequel grandit la mémoire apaisée.

 

Cette Vérité, c’est que 44 Lorrains dont 39 originaires de Charly et réfugiés à Oradour ont été Victimes du massacre.

C'est en accueillant ces centaines de Carlésiens qu'Oradour a écrit l'histoire commune entre Limousins et Mosellans et à construit notre mémoire partagée.

 

Cette Vérité, c’est aussi que des Alsaciens incorporés dans la Waffen SS étaient présents le 10 juin 1944. Ils furent au total près de 130 000 Alsaciens Lorrains incorporés de force dans la Wehrmacht.

 

Après avoir perdu tant de ses filles et de ses fils, la France ne peut s’infliger une nouvelle souffrance et ne peut infliger à l’unité nationale une amère blessure.

 

Réunis une nouvelle fois autour du souvenir d'Oradour, nous avons un devoir à l’égard des victimes. Les massacrés d’Oradour exigent de nous la plus grande à vigilance pour que nulle part ailleurs dans le monde ne resurgisse une telle barbarie. Aucune nation n’est  aujourd’hui à l’abri d’un tel crime, en Europe, en Afrique, au Moyen-Orient, en Amérique.

 

En menant ce combat contre la haine, sur ces lieux de souffrance, nous redonnons vie à Oradour. C'est pourquoi l'Etat entend désormais mener ce combat, notamment à travers le plan de lutte globale contre le racisme et l'antisémitisme, annoncé par le président de la République au mémorial de la Shoah le 27 janvier et présenté par le Premier ministre le l7 avril à Créteil.

 

Un plan qui veut renforcer la dimension pédagogique des lieux de mémoire, lieux d'enseignement, de transmission et d'éveil à la citoyenneté.

 

Plus qu'aucun autre lieu, Oradour nous parle, nous interpelle, nous engage et nous oblige. Hier symbole d'un crime contre l'humanité, aujourd'hui symbole d'un combat inlassable pour l'humanité.

 

Voilà ce qu'est Oradour.